Les frères siamois sont très attachants. On a rarement vu deux frères autant liés l'un à l'autre. C'est étonnant et c'est pourquoi ils retiennent toute mon attention.
Ce lien d'affection est d'ailleurs identique entre deux sœurs siamoises.
Il n'était pas aisé de les vêtir. Les tailleurs de l'époque accomplissaient des prouesses malheureusement perdues depuis que le bistouri de la médecine parvient à les désunir. La science est prodigieuse et fascine ma réflexion.
En revanche on ne vit jamais un frère et une sœur réunis ainsi.

Deux interrogations majeures me viennent immédiatement à l'esprit. Pourquoi? Comment accorder le verbe réunir?

A la première question, la réponse est simple. C'est biologique. La biologie ne s'embarrasse jamais de question métaphysique. Tous les vrais jumeaux sont monozygotes. Un ovule fécondé se scinde pour les former. Si la scission n'a pas lieu, les êtres ainsi créés sont siamois. C'est un peu plus compliqué, mais comme je fus seul à nager dans le liquide amniotique maternel et n'ayant connu, depuis que j'en émergeai, que de passagères unions qu'on ne peut qualifier de siamoises puisque se scindant au bout d'un temps inférieur à la journée, je ne développerai pas cette extravagance de la nature assez rare pour ne se produire qu'une fois sur cent mille fécondations.

La grammaire est bien différente depuis que la moitié de l'espèce humaine se mêle de vouloir la bouleverser. L'abbé Bouhours avait mis un peu d'ordre en proclamant que le masculin était plus noble, rompant avec l'habitude datant du Moyen Âge de pratiquer, soit l'accord du verbe ou de l'adjectif avec le nom le plus proche, soit l'accord au choix du scribe ou au hasard de sa plume. On voulut donc que le masculin l'emportât sur le féminin et nul ne contesta cette évidence pendant trois siècles. Mais tout comme les écologistes qui ne rêvent que du passé, les féministes aspirent au retour de ces temps anciens. La raison en est certainement que pratiquant désormais autant le rugby que le football, voulant se mêler de tout et souhaitant s'enfoncer plus avant dans le ridicule, elles réclament l'abolition grammaticale de la supériorité masculine faute de pouvoir rivaliser avec le système pileux du mâle, signe incontestable de puissance. On voit quand même, parfois, quelques femmes à barbe. Toutefois insuffisamment, bien qu'on ne connaisse pas de statistiques fiables faussées par l'utilisation irraisonnée et contre nature de l'invention du baron Bic, le rasoir jetable, pour concurrencer cette suprématie.

Dans un souci d'apaisement je veux bien revenir à l'indécision de la proximité, mais je crains que cette porte ouverte à l'indémaillable n'entraîne d'autres revendications. Comme par exemple la parité en toute chose, ce qui reviendrait à penser qu'un homme et une femme formeraient un couple de siamois, à charge pour le mâle de se faire implanter quelques redondances mammaires. Alors assisterions-nous à la gémellité revendiquée face aux ennuis provoqués par des implants défectueux puisque nous avons démontré qu'il n'en pouvait être ainsi naturellement. Mâles et femelles seraient enfin, à une nuance prostatique près, égaux —ou égales pour illustrer parfaitement cette règle de la proximité.
Certains esprits chagrins me rétorqueront qu'il n'est pas charitable de se moquer du malheur des autres. Je n'en disconviens pas et loin de moi l'idée de patauger à la manière d'un Longuet dont l'évocation hasardeuse et surtout douteuse du drame du Concordia est la signature d'une avitaminose de l'esprit qui se noie dans un flot de sottises.

On a donc vu que n'est pas siamois qui veut malgré les tentatives régulièrement répétées, le jour ou la nuit selon les habitudes, d'union de deux corps. Tout au moins lors des premiers feux de la passion.

En revanche, malgré des chinoiseries itératives que se plaît à rapporter la presse, les exemples de "siamoiseries" —si l'on me permet ce néologisme— ne manquent pas au sein des partis politiques. Surtout à droite où il semblerait que de l'extrême au centre droit on se soit entendu pour appliquer une politique identitaire, sécuritaire et répressive —pour n'évoquer que cet aspect d'un programme simpliste— tout à fait comparable et développée par des mots jumeaux.

Si semblables parfois ces mots employés, ces phrases dites, ces anathèmes prononcés, ces rejets haineux, que nous pensons qu'ils sont siamois.
Ne dit-on pas, d'ailleurs, qui se ressemble s'assemble?